Les forêts médusées
Dernière partie
Puis nous sommes arrivés dans les Vosges. Là, j'ai découvert une grande barre bleue face à la fenêtre de ma chambre: j'allais habiter à deux mètres de mon nouveau lycée. J'y ai fais de belles rencontres, des personnes qui n'étaient pas dans ma classe, des professeurs. J'ai d'ailleurs eu un très bon professeur de Français qui croyait beaucoup en mois, au fait que je pouvais sans doute réussir dans le domaine littéraire en passant par des études certes un peu gonflantes mais intéressantes. J'ai commencé à dévorer les romans qu'il me prêtait de temps à autre, à écumer les discours philosophiques, à écrire surtout. Cette année, j'ai commencé mon premier blog et je ne pensais absolument pas qu'il allait s'éterniser de la sorte et m'apporter autant de réponses à mes questions. J'ai eu ma crise d'existentialisme pendant un cours de philosophie. J'ai alors commencé à chercher un tas de réponses aux choses de la vie, ma vie, celle des autres … J'ai commencé à devenir adulte à cet instant. La vie ne serait-elle pas morne sans questionnements ?
J'ai eu la chance de participer à un voyage en Grande Bretagne avec le lycée, une chance que je dois à une fille qui s'était cassée la jambe. Je rêvais de partir au pays d'Albion depuis quelques temps. Découvrir d'autres paysages, encore et toujours. Je me souviens du Ferry, très tôt le matin, il ne faisait pas encore jour. Le bateau tanguait un peu sur la Manche et nous avions hâte d'arriver. Nous nous prenions en photos, nous courrions partout … et puis les blocs de calcaire au loin, je m'en souviens comme si c'était hier. Une impression de liberté, de flotter dans l'air. C'était beau, c'était grand, immense même. Nous avons fait la connaissance de notre famille d'accueil, d'adorables personnes qui ne parlaient pas ou presque le français. Mais çà n'était pas grave, on se comprenait. Le premier soir fut merveilleux, éblouissant au soleil couchant. Il y avait une lumière sublime et de l'ambiance en front de mer: c'était la fête ! Nous avons marché pieds nus sur l'herbe, fait les indiens derrière les buissons, nous avons cherché après des trésors, parlé avec des anglais, fait des blagues à la française, découvert le charme britannique, les cabines téléphoniques rouge... Et puis au bout d'une semaine, il fallut rentrer. Je suis revenue au petit matin, avec du thé et de la confiture dans mon sac à dos. Je suis allé pleurer l'Angleterre sur mon lit … J'aurais voulu y rester.
Grandir, c'est se promener sur des chemins que l'on ne connaît pas. La vie, comme un roman, est un miroir que l'on promène le long d'un chemin. Une citation empruntée à Stendhal qu'un homme de lettre nous avait laissé à notre imagination. Alors, j'ai pris la route quelques temps. Je me suis posée seule dans une petite chambre étudiante, dans le Nord encore. Comme si je ne voulais pas quitter cette région. Je me suis retrouvée seule sous mon Vélux, mes bougies et mes carnets d'écriture la nuit, le bruit du silence et c'est tout. Il me fallait au moins çà pour comprendre, continuer, trouver ma voie. Il y eu quelques virées pour ne pas rester en solitaire. Le train s'arrêtait là où l'air sent la chicorée, là où la gare est belle, ancienne, là où elle est immense, dans une capitale, celle de ma grande sœur. Paris, la dévoilée. J'étais comme un oiseau, j'étais attirée par toutes ces routes, ces chemins que l'on prend sans vraiment savoir où l'on va atterrir. Je me souviens de la lumière rouge, du thé après une bonne journée de marche, des morceaux d'ananas dans la chaleur moite de Paris. J'ai rencontré le pavé, les rues hautes tout là haut, la nuit à Paris, l'obscurité profonde du métro, une ville qui ne dort pas sous nos pas, une ville certainement croissante, de jour comme de nuit. Une vie nouvelle, quelques jours seulement et puis le retour, la neige ou bien le soleil, les vacances à attendre le prochain voyage, mais où d'ailleurs … Ce qui m'attirait, c'était le côté incertain, la peur de me perdre peut être, la perspective de ne pas aller où je devrais. Douter, parce que la certitude, c'est l'ennui. Rencontrer l'étrangeté aussi, les étrangers pas si étrangers, la lumière d'ailleurs.
La Bretagne, cette inconnue sans cesse imaginée magique. Quelque part au creux des vagues, je m'imaginais trouver le trésor d'un monde perdu, tomber dans une forêt oubliée … J'y ai découvert quelques plages un peu perdues, un ailleurs si beau, lointain dans les paroles de Charles Aznavour. On prenait la route, on chantait les fenêtres ouvertes, la gueule au vent et le sourire béat. On s'en foutait, on vivait, moi et ma grande sœur. Il faisait gris, il pleuvait souvent mais c'était loin de Paris, loin d'ici aussi.
Il me fallut tout de même rejoindre mes parents, trouver un boulot, peut être poser les pieds sur terre. Changer de vie, c'est changer d'idées. Se conformer au règlement, pas tout le temps, mais essayer. C'est aussi se poser des questions, rencontrer d'autres personnes. Appareil photo en bandoulière, j'ai sillonné la Vendée, photographié des maisons, des paysages surtout, la mer, la mer, la mer … J'ai dansé sur la plage au levé du soleil et au coucher du soleil, je rêvais d'étoiles. Je portais des talons pour la première fois et je faisais les magasins avec ma collègue. J'écrivais toujours, un peu moins mais je pensais à un récit. Peut être reprendre mon blog, ou bien l'oublier. Je me suis inscrite sur Myspace …
J'ai rencontré Aurélien. Un jour de grisaille, c'était à Paris. Il faisait froid et nous étions un peu deux étrangers l'un à l'autre. C'était fou, c'était beau, c'était immense. Je me souviens m'être perdue dans mes pensées, dans ses yeux et puis la minute d'après, nous étions ailleurs … J'étais encore loin, à l'Est. C'est étrange de se retrouver dans une région que l'on a connu il y a quelques années. On y retrouve des villages et villes d'un jour ou de toujours puis on se dit que çà a bien changé, ou que çà a prit de l'âge. Comme on grandit, comme on s'étend sur la vie. Je me souviens des bras d'Aurélien, doux et réconfortant, de mes pensées à cet instant. Je me souviens lui avoir dis « Je t'aime » et ne plus vouloir repartir. Je me dis que c'était hier. Le temps passe … les jours défilent mais il fait toujours aussi gris. Je pense à tout cela, à mon histoire. Je pense à un endroit que j'aime, à un arbre. Là où le silence dort. Je repense à la toile de mon grand-père, à ces touches de couleurs, à cette béatitude naissante et cette rivière qui coule, coule dans mes veines.