Les forêts médusées
Partie 3
Ma grand mère était partie depuis quelques mois. Ce fut un grand vide dans ma famille, pour mon père aussi. C'est la première fois que je l'ai vu pleurer, je n'avais jamais vu mon père aussi abattu. C'est arrivé quand nous étions encore en Vendée. Je ne comprenais pas vraiment, je sentais que quelque chose n'allait pas mais je ne me souviens pas avoir ressenti quoi que se soit lorsqu'on m'annonça que Mémé était partie. Ce ne fut qu'après, le jour des parapluies noirs, que le sentiment d'avoir perdu pour toujours un être aimé s'étouffa. Je n'ai pas assez connu ma grand mère et de ce fait, tout comme mon grand père, je la cherche toujours aujourd'hui. J'aurais aimé lui parler plus longuement de l'école, des voyages, d'elle, de nous …
Mon grand-père se retrouva seul dans la grande maison qu'il n'habitait plus qu'avec un chaton qu'il avait adopté. Seul parmi tous ces meubles, ces souvenirs qu'on enfouis pas comme çà. Je me souviens d'un rêve où je voyais un vieillard seul au milieu d'un tas de vieux papiers, de livres, de la poussière aussi. Ce devait être mon grand-père peut être. Celui là même que j'allais voir de temps à autres à la maison de retraite, non loin de la maison, un paquet d'oursons en chocolat à la main. Papa me disait que mon grand-père était un gourmand. Il adorait le chocolat, les pâtes de fruits … et nous ne venions jamais les mains vides. Nous le retrouvions souvent au salon avec d'autres personnes âgées, il regardait quelques fois l'horloge sur sa gauche et nous racontait quelques histoires de son histoire. La fois où il fut capturé en Pologne, mit en prison puis relâché. La guerre, par tous les chemins, dans toutes les langues. Parfois il parlait en allemand et puis nous demandait ensuite qui l'on était. Alors je regardais mon père ( ma maman ne venait que très rarement avec nous) et je voyais dans ses yeux beaucoup de tristesse, beaucoup d'angoisse aussi. Je sentais que quelque chose disparaissait, petit à petit. Et petit à petit, la flamme dans les yeux de mon grand-père s'est éteinte. C'était dans un hôpital à quelques kilomètres de la maison. Ce jour là, il faisait beau. Quelques jours auparavant, nous étions venus avec mon père et l'avions trouvé près de la fenêtre. Il nous souriait et nous scrutait sans vraiment nous reconnaître. Il mangeait soigneusement ses petits oursons en chocolat. Mon père m'a laissé sa place pour que je lui parle et je lui ai pris les mains. Je ne savais plus quoi lui dire, je lui souriais et pensais très fort à lui. Ce que je ressentis sur l'instant est difficile à expliquer. C'était quelque chose proche du bonheur, de l'apaisement et puis de la tristesse, la possibilité de le perdre m'effrayait. Tout à coup, je compris combien mon grand-père était important à mes yeux, que je ne l'avais pas connu assez longtemps, qu'il allait partir et qu'en franchissant cette porte, je ne le reverrais peut être plus de son vivant. L'image d'après qui me reviens, c'est le téléphone qui résonne après vingt et une heure.
Nous étions dans les Vosges à cette époque. Nous regardions Chouchou à la télévision et je crois que ce film m'ennuyait. Puis le téléphone, mon père qui se lève et ne dit mot. Il s'en est suivi un grand blanc, mon père s'est rassit dans son canapé et nous a dit que grand-père était parti, que c'était fini. Oui, c'était fini, une partie de mon enfance s'était enfuie, à tout jamais. Je couru alors dans ma chambre, des larmes me coulait sur le visage et je ne pouvais m'empêcher de haïr ces moments. Au dessus de mon bureau se trouvait un tableau de mon grand-père qui représentait le parc de notre village. Je le scrutais, attendant d'y voir apparaître une quelconque ombre, d'entendre parler ce tableau peut être. Mais rien, rien que du silence et quelques suffocations. Mes parents sont venus me parler, eux aussi abattus par la nouvelle. Mon petit frère dormait alors dans la chambre d'à côté, paisiblement.
Quelques jours après, il fallait remonter. Nous retrouvions notre famille, ma sœur, mon grand-frère aussi. Dans la maison de mes grands-parents, le silence était pesant et personne ne voulait vraiment parler. Il y avait là tous les souvenirs de la famille qui allaient bientôt disparaître, des tas de livres brûlés dans le jardin, des meubles qui se retrouverons dans d'autres mains, dans d'autres maisons. Je découvrais à présent le monde triste de l'héritage, celui dans lequel certains ne veulent rien et d'autres, qui ne sont pas de la famille, veulent tout prendre. Le petit jardin n'était plus vraiment un jardin. Tout se mourait, les fleurs fanaient. Il n'y avait plus aucun fruit rougeoyant dans les arbustes, plus rien. Juste un peu de cendre, de la poussière partout, le piano et l'orgue de mon grand père. Un piano que j'ai retrouvé chez ma tante et sur lequel je laissais glisser quelques fois mes doigts. Entendre encore le son fluet des accords imparfaits.
La perte d'un être cher est quelque chose que tout le monde connaît; chacun réagit différemment à cette perte. J'étais seule à vouloir voir mon grand-père pour une dernière fois avec ma grande sœur. La mise en bière, un mot qui ne parle pas forcément à tout le monde. C'est un moment tragique où tout s'effondre et où rien ne sert de lutter. La mort est là, même si on en veut pas. Il n'y avait pas grand monde. Le temps était gris, le vent était frais. Pourquoi étais-je aussi près de mon grand-père à ce moment, je ne saurais dire. Tous les autres étaient regroupés au fond de la pièce et j'étais planté là, devant le cercueil encore ouvert. Puis il fut recouvert. J'ai couru, là encore, dehors. Je pleurais tout le reste de mes larmes, ce fut un choc pour moi. Une perte irremplaçable et cette image qui me revient encore et toujours de cette plaque de bois dont on recouvre le corps de mon vénérable grand-père. Je comprenais alors pourquoi mes parents ne voulaient pas venir, je comprenais alors le sens de la mort, la fragilité de la vie.
Devenir adulte sans mes grands-parents ne fut pas évident. Je les cherchais et les cherche encore sans cesse. Je m'attachais à leur mémoire, à ce qu'il me reste de plus important, leurs souvenirs. Il me fallait sans cesse recourir à l'écriture pour penser la perte de mes grand-parents et éterniser leur souvenir. Parfois, la nuit venue, je leur parlais. Je leur racontais ma journée, mes problèmes à l'école, mes incertitudes sur ma vie d'après. Et la Religion dans tout çà ? Pas vraiment de croyances, pas vraiment de Dieu qui se souvienne de ma tristesse certaines nuits. Quand je pleurais au fond de mon lit, je ne voyais pas un Dieu, j'essayais de repenser aux visages de mes grands-parents, à cette photo de moi tout petite entre mon grand-père et ma grand-mère dans le canapé de leur salon. Je suçais mon pouce, calmement. Je m'endormais, je rêvais de les revoir.
Mes parents ont fait construire une maison dans le village natal. Une maison que j'aime tout particulièrement parce que c'est un havre de paix. Papa y a fait planter de nombreux arbustes qui sont aujourd'hui, une dizaines d'années après, devenus de grands et beaux arbres. J'étais à quelques mètres de chez mes cousines que je ne voyais que très rarement, la famille ne se parlant plus vraiment. J'étais aussi à deux kilomètres de la ferme de ma meilleure amie. J'y allais souvent à vélo, j'adorais çà, surtout redescendre la pente à grande vitesse ! Quand je n'allais pas rendre visite à mon amie, je partais me promener au Parc, sous les marronniers, derrière les pommiers, au pied d'un arbre. Je rêvassais, je parlais aux écureuils, je chantonnais et je passais au-dessus des barrières. J'allais alors jusqu'à la fontaine un peu plus haut, me rafraîchir et penser aux chemins qu'auraient pu prendre mes grands-parents.
Au-delà de la maison, du Parc, il y a la frontière Belge à quelques kilomètres de là. Quand j'étais gamine, mes parents nous emmenaient dans un café familial à la frontière. Nous buvions un jus d'orange et parfois restions un peu plus tard manger quelques frites. Nous repartions généralement avec une boîte de pralines belges, des bonbons pour la route, de la cassonade, de la bière pour mes parents. Mes plus beaux souvenirs en Belgique sont des moments passés à écumer les brocantes dans tout le pays ou presque. Nous partions les week-ends, très tôt le matin, avec mon père et mon grand-frère pour ramener quelques bandes dessinées. J'adorais voir le jour se lever doucement dans la voiture. Quand nous rentrions, nous passions généralement par une boulangerie pour prendre un gâteau le dimanche. J'étais encore à l'école, j'étais heureuse de ces moments, le temps, je n'y pensais pas.
J'allais au collège puis au lycée en bus. Au collège, j'étais bien. J'avais beaucoup plus d'amis et j'étais dans la même classe qu'un ami qui me demandait toujours l'heure. Je suis parti pour la première fois loin de chez mes parents pour une classe découverte en Allemagne. Avec trois amies, nous étions logées chez des gens très sympathiques qui ne parlaient pas un mot de français, qui regardaient Qui veut gagner des millions à l'allemande et qui nous faisait des sandwichs au nutella et au salami. Le mélange des deux est assez surprenant ! Nous avons découvert de beaux paysages, le Rhin et le rocher de la Loreleï pour ne citer qu'eux. Un château digne des plus beaux contes de fées dans lequel nous avons couru comme des fous ! J'ai aussi fumé ma première cigarette lors de ce voyage. En Allemagne, à l'époque, on pouvait trouver des distributeurs de cigarettes à tous les coins de rues et mes amies étaient toutes fumeuses. Mais çà ne m'intéressait pas, je n'en aimais pas le goût. Au lycée, j'étais toujours avec mes amis et j'avais des professeurs discutables. Avec des copines, nous avons fait l'école buissonnière quelques jours: un matin, au lieu de rentrer au lycée, nous sommes parties avec nos sac à dos dans les villages attenants. C'était très joyeux, il faisait beau et nous marchions sans vraiment savoir où nous allions. Puis la fin de la journée et le bus pour aller chez une de mes copines qui nous logeait dans son camping car. Le soir, nous avons fait griller des pommes de terre et nous avons papauté jusqu'au petit matin. C'était bien, c'était il y a longtemps.