Les forêts médusées
Partie 1
Pendant que mes parents prenaient le thé avec mes grands-parents dans la maison paternelle, je jouais avec ma cousine. Ma grand-mère nous avait déniché des petits caddies blanc et rose et nous nous amusions à courir partout avec, à faire nos courses comme les grands. Je passais d'abord par le salon: il y avait le meuble aux trésors, celui dans lequel mes grands parents cachaient nos cadeaux de Noël et autres, un autre meuble remplis de bouquins en tout genre, beaucoup de livres sur l'Histoire, la Grande Guerre, l'archéologie aussi. Peut être était-ce pour cela que je voulais être archéologue à une époque. Devant ces armoires se tenait un grand fauteuil vert sombre avec de grandes fleurs brodées … tout le monde se retrouvait sur ce fauteuil pour papoter, regarder la télévision. Les adultes nous demandaient souvent de rester sur ce fauteuil pendant qu'ils discutaient de je ne sais quoi. C'est comme cela qu'un jour, un de mes oncle a ramené une cassette enregistrée d'un film avec des chevaliers. Je me souviens d'une scène ou l'on voit le chevalier, cape noire, étalon noir, dans une forêt sombre, dans la brume …il émanait de ce film une certaine ambiance, presque oppressante. J'aimerais retrouver ce film, le regarder à nouveau dans ce canapé douillet.
Ma grand mère avait une belle vaisselle, de beaux ornements sur ses meubles. Il y avait là une bonbonnière en verre, blanche et rose avec des fleurs dans laquelle elle déposait certains de ses bijoux.
Quand nous revenions dans le Nord, ma grand-mère nous préparait souvent de bons petits plats qu'elle servait dans des assiettes colorées. Des assiettes en Arcopal rondes, transparentes au milieu et colorées sur le pourtour en orange, vert, jaune ...il y avait les bols qui allaient avec dans lesquels elle aimait nous servir une bonne soupe à la tomate, à la courgette.
Dans la salle à manger où tout le monde se retrouvait, il y avait à l'entrée un grand pilonne en bois sculpté que mes parents ont gardé à ma demande. Ma grand-mère y déposait sa machine à coudre ou bien encore une plante. Au dessus du radiateur, face au grand meuble de la salle à manger se trouvait une pendule mécanique blanche ou bien brune, je ne sais plus laquelle était-ce. Il y en avait deux dans la maison et j'aimais entendre leur son à chaque changement d'heure, le petit tic tac à chaque moment. A côté de cette pendule, un tableau, celui du poisson rouge de mon papa. Mon grand-père l'avait admirablement bien représenté … je me demande où est ce tableau aujourd'hui. Ma grand-mère aimait cacher des gourmandises sucrées ou salées dans le placard emmuré à côté du tableau. Un placard en pin clair, une couleur dont je me souviens assez bien puisque la lumière venait souvent colorer cette cachette d'un doré sublime. De là sortaient nombres de sucreries, des petits biscuits feuilletés au fromage pour les grandes occasions. Une recette bien gardée. Dans cette pièce, il y avait un coin dont j'ai du mal à me souvenir, un coin où traînaitent sans doute quelques plantes ou des livres … il y avait eu une infiltration d'eau et puis à côté, un grand meuble ou se cachaient toujours des petites araignées que j'allais chercher sous le meuble.
La cuisine était un lieu à part. Je pense qu'elle était très petite pour une telle maison avec autant de monde à nourrir. Il y avait le coin placards et la gazinière sur le côté, une grande fenêtre qui donnait sur le jardin, la porte de la cave où il m'était interdit de descendre et la petite radio rose de ma grand-mère qu'elle écoutait en faisant la cuisine. Il faisait frais dans cette cuisine, les fenêtres à l'époque étaient fines.
A côté de la cuisine, j'entendais mon grand-père qui se rasait dans le petit cabinet rose attenant. Il avait de la crème sur tout le visage ou presque et me regardait passer avec de grands yeux. Je me souviens de ce rose … sans doute une couleur à la mode de l'époque, il y en avait partout, dans les toilettes, la salle de bains. Après ce petit cabinet, je pouvais passer sous le rideau de fils colorés comme on en fait plus aujourd'hui. Il s'agissait sans doute d'une matière plastique qui claquait un peu sous notre passage. J'aimais ces couleurs de l'arc en ciel. La machine à laver était là, la salle de bains un peu plus loin. Rose, elle aussi évidement et qui sentait bon le savon ancien, les fleurs parfois.
Après, il fallait retourner de l'autre côté de la maison pour voir mon grand père travailler dans sa remise. Il y avait pleins d'outils partout, des bouteilles d'eau minérale Saint Amand, du charbon aussi qui salissait toute la remise. Il y avait des toiles d'araignées et une odeur de toilettes … Les toilettes se trouvaient presque en dehors de la maison, dans une sorte de véranda avant d'aller au jardin. Il y faisait froid et il ne fallait mieux pas y traîner. Je me souviens aussi qu'à une époque, j'avais du mal à monter sur les toilettes, j'étais sans doute un peu trop petite. Derrière, dans le jardin, il y avait quelques plants de tomates, des salades, un cerisiers, beaucoup d'herbes, des petits arbustes au fond sur lesquels poussaient des groseilles ou des framboises avec lesquelles ma grand-mère nous préparaient des tartes sublimes.
Pour trouver les chambres, il fallait retourner dans la maison et passer par le petit escalier très étroit, en face de l'armoire à chaussures de petites tailles de ma grand-mère. L'escalier donnait sur la chambre de mes grands- parents que je n'ai connu qu'après leur disparition. Toutes les pièces de l'étage étant sous les combles, elles étaient assez petites. En face de la chambre de mes grands-parents, le bureau de mon grand-père avec son piano, son orgue sur lesquels j'aimais le retrouvais jouer. Je me souviens de ses pieds frôlant les pédales de l'orgue … c'était magique de voir un tel fonctionnement. A côté, une pièce qui servait également de chambre avec le matelas que j'ai récupéré à mon adolescence. Un matelas sur lequel on a l'impression de flotter, en laine mais si confortable qu'on a pas envie de se lever. Derrière, la chambre ou mes parents dormaient quand nous revenions chez mes grands-parents. Il y avait une fenêtre qui donnait sur le champ voisin avec un coq qui se baladait et nous réveillait au petit matin. Enfin, une petite chambre, aux murs jaunes pâle. Il y avait un lit d'enfant, à barreaux blanc, le mien je pense. Et la lumière qui venait réchauffer cette pièce.
J'ai de très bons souvenirs de cette maison parce que je la découvrais et la redécouvrais sans cesse à chacune de mes venues. J'aurais voulu y habiter avec mes grands-parents, me lever dès l'aube au chant du coq, avec la certitude de boire le lait frais de la ferme voisine, un bon beurre au goût différent, unique comme cette maison. La lumière y est toujours.