La pluie s'abat sur les velux. Il fait encore nuit et le réveil sonne. Il neige dehors, il neige en moi, il fait froid. Alors je me lève, froide, je cligne des yeux à la fenêtre. C'est l'immensité, la pénombre, celle qui s'accroche et qui me traîne jusqu'à la cuisine. Comme un légume. Je reste plantée là à regarder la nuit, le temps de merde et mes idées...de merde elles-aussi. J'ai rêvé que je devenais folle, que tout s’effondrait sur moi...Et pourtant, il y a là les yeux d'Aurélien qui tentent de comprendre. C'est son regard qui me soulève, qui m'aide à avancer. Alors je pense à lui, j’essaie de penser à autre chose...je chantonne une chanson qui se passe aux Pays Bas. Elle est un peu triste mais je n'ai que çà sous la main. Oh et puis il fait gris.
Je voudrais un chat. Je voudrais revoir mes chats.
En ouvrant la fenêtre, je sentais l'humidité, les sous bois venir à moi. C'est une odeur qui me rappelle des souvenirs d'automne, l'époque des champignons. J'allais en forêt avec mon oncle, ma tante et mes cousines. Nous cherchions des bolets, des girolles pour le festin du midi ou bien du soir. On se retrouvait à une dizaine à manger autour d'une belle table ; çà riait, çà chantonnait, çà buvait. C'était les retrouvailles surtout. Parfois, je quittais la table pour m'entretenir avec le vieux piano du couloir. J'aimais retrouver ses touches, son accent non accordé, ses sonorités. Je le regardais, je le sentais quelques minutes, puis je commençais à jouer quelques notes. Je n'ai jamais su jouer du piano. J'aurais voulu apprendre sur les genoux de mon grand-père.
Dans la cuisine, çà sent la vanille, la douce odeur de caramel, de pâte fraîchement prête. Ma tante prépare des gaufres comme elle sait si bien les faire. Ma cousine, Claire, entame son petit déjeuner à base de Weetabix sur un un lit de lait froid. Elle vient de rajouter des rondelles de bananes qui coulent dans l'assiette creuse. Ma cousine a des mèches bleues. Elle me montre un « mascara bleu » pour faire des mèches. A l'époque, c'était à la mode. Aujourd'hui, je ne sais pas. Aurore, ma meilleure amie, en avait des vertes dans ses beaux cheveux blonds. J'essayais et puis je me regardais dans le miroir : c'était vraiment moche.
Pendant les grandes vacances, je passais mon temps libre chez mes cousines. Nous nous promenions, allions à la pêche ou même, passions notre temps à nous enregistrer sur une cassette audio. Il s'agissait de créer des publicités, un journal en rapport avec l'actualité. Je me souviens fort bien d'une publicité « Tampax » où l'on s'était bien amusées. Je pense que nous devions avoir une dizaines de cassettes enregistrées. Après çà, nous jouions aux Pogs. Il y en avait beaucoup chez moi comme chez elles. Un jour, j'ai piqué à ma petite cousine un pog de couleur bleu avec Spip en relief, l’écureuil apprivoisé de Spirou. Je ne pense pas qu'elle l'ai remarqué, mais je m'en excuse aujourd'hui. Je l'ai donné à mon petit frère.
Cela fait longtemps que je n'ai pas vu mes cousines où que je ne suis rentré dans leur belle maison. J'adorais cette maison typique du Nord avec ses tomettes rouges, cette grande cheminée, ses boiseries. J'y passais beaucoup de temps et je me souviens surtout des odeurs parfumés qui émanaient de la cuisine. Ma tante, en magnifique cuisinière et pâtissière, préparait souvent des choux à la crème nappés de chocolat, des tartes aux pommes, des gaufres bien évidement...Il y avait toujours quelque chose de bon à manger sur la table. Si ce n'était pas sur la table, c'était dans une des boites métalliques cachée tout en haut d'un meuble de la cuisine. Comme chez ma grand-mère. Les très bonnes choses étaient cachées, inaccessibles. Aujourd'hui, c'est cette maison qui me paraît inaccessible. J'y suis souvent passée pour aller me promener mais plus jamais je ne m'y suis arrêtée. Et pourtant, l'envie ne me quittait pas. Ce qui est difficile, c'est de passer devant une maison que l'on connaît, de se souvenir de toutes les belles choses passées ici mais de ne pouvoir y rentrer. Alors à chaque fois, je continue mon chemin en baissant la tête, dans l'espoir qu'un jour, ma tante sorte de chez elle en me disant « Aller viens, il fait froid et j'ai préparé des gaufres. »