Les forêts médusées
Tout est parti d'une goutte de pluie.
La nuit était tombée sur le grand océan. Nous nagions depuis des heures à la recherche des étoiles scintillantes, celles qui ne se devinent qu'à la nuit tombée. Jadis ici, il y a avait un immense centre commercial. Aujourd'hui, on ne distingue plus que le toit du grand bâtiment rouge, éclairé par la lune. Tout au fond de l'océan, il y a encore les chariots enchaînés, le tracé blanc des places de parking, les hauts lampadaires qui ne brillent plus.
Les hommes sont devenus des poissons, des sirènes, des créatures d'autres contrées. Nous cherchons tous l'éclat des étoiles dans les limbes des abîmes, elles sont notre vie, elles nous régénèrent. Parfois, les autres trouvent des étoiles bleues ou rouges; nous ne pouvons pas les ramener car elles ne sont pas comestibles. Alors les autres jouent avec ces étoiles, ils les jettent sur les corps flamboyants: les étoiles s'agrippent à même la peau et forment d'étonnants dessins.
La nuit s'envole. Le jour va éclore et déjà, nous devons repartir. Sous nos nageoires, nous quittons le monde englouti qui n'a plus de bruit.
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Dans la forêt, il y avait une petite maison où tous les murs étaient peints d'une fresque. Chaque mur avait ses couleurs, ses légendes. Un jour, il fallut se dépêcher et quitter les murs de la petite maison car le vent arrivait. Il y eut une grande tempête; les sapins zigzaguaient dans la nuit, c'était effrayant et la petite maison devait en trembler. Puis la pluie ne cessa de tomber, des gouttes d'eau à n'en plus finir. Bientôt, la forêt devint une mangrove ou la vie avait disparu. Les arbres étaient solitaires, leurs racines ensevelies dans les profondeurs cherchaient la vie éternelle. Mais un jour, le vent souffla tous les airs des continents à la dérive et les arbres tombèrent, un à un, disparurent dans l'immensité aquatique. Les troncs des conifères, les uns contre les autres, formèrent un grand mur de bois flotté. De jour en jour, ils s'entrelacèrent jusqu'à former de nouvelles fondations, des pans de bois épais d'où dépassaient quelques tiges éparses, des fleurs où les oiseaux de passage se reposaient. Ces arbres devinrent la première autre petite maison sur l'océan. Voilà comment tout à commencé.
Pour continuer à rêver ... Jason de Caires Taylor