Les forêts médusées
Je t'écris sans envie, sans but précis. Tu as sans doute d'autres choses à faire, moi je n'ai que cela, ma parole pour toi, un dialogue qui s'écourte à chaque appel. J'avais envie de te raconter ma vie, de te dire que j'avais acheté un nouveau recueil de poésie, quelque chose qui va me faire voyager, l'Afrique, le soleil ... bien loin de nos terres si grises, si froides. Je voulais te parler de mon recueil aussi, celui que tu as lu sans le lire, dont tu ne connais même pas la fin, je voulais que tu le lises et que tu m'en parles, que l'on en parle. Je vais en réécrire un, pas pour toi, pour moi, me souvenir des choses qui n'existent plus, des aléas du temps, des questionnements; la vie est ainsi faite, de grands écarts et de trous noirs, de pointillés ...
Bientôt, le Printemps reviendra. Je dormirai moins, pour arpenter d'autres sentiers, des brocantes, des souvenirs d'autres fleuves balisés. Je n'irai plus sur les mêmes chemins avec toi, parce que nous sommes si éloignés ... que même les mots me manquent pour tisser une liane qui nous relierait. Tu me disais qu'il fallait rester unis, que c'est çà une fratrie. Mais tu n'es pas plus uni à moi qu'à nos parents. Tu as oublié ce que c'est d'être unis. Tu es comme moi, tu l'as oublié.
Je me remémore la forêt, les chemins sans boue que nous arpentions été comme hiver. Au coeur du lac, il y avait cette plénitude, cette douceur qui coule, coule dans nos veines à présent. Le vent sur notre peau court encore dans ma tête, sous mes yeux il se dissipe et se perd. Nous n'avons jamais eu besoin de boussole, mais nous nous sommes tant perdus; sous la pluie, dans un désert de feuilles, d'étranges autoroutes qui n'en finissent jamais de nous perdre. Se quitter, s'oublier. Comme s'il ne fallait jamais. Des cendres de nos aïeuls poussent des fleurs sous le ciel gris de l'hiver. Nos larmes les soutiennent, jamais ne les oublient.
Parfois, une image sort de l'objectif; j'aimerais la partager avec toi, mais tu ne réponds pas. J'aimerais partager mes voyages avec toi, avec la famille, j'aimerais que tu puisses voyager avec nous, avec nos sourires dans ta tête, mes verbes fous ... Je n'irai plus sur d'autres chemins avec toi. Car tu es loin et je suis lointaine étoile à la tienne. Nous sommes reliés sans fil à un écran noir, à nos cellules partagées, à notre hémisphère nord.